Une fois n’est pas coutume, j’aimerais donner mon avis sur un sujet ! Pourquoi ? Parce qu’il touche à deux thèmes qui me tiennent à cœur : l’écriture et le féminisme. Quel intérêt pour vous ? Aucun ! À moins que le sujet vous intéresse et que vous ayez du temps à perdre pour écouter (enfin… lire) mon opinion personnelle.
Une définition
L’écriture inclusive est une nouvelle grammaire qui propose des règles visant à « féminiser » la langue française. Par exemple en proposant pour tous les noms de fonction une version féminine (écrivain => écrivaine…) ou encore en montrant les deux genres au pluriel à l’aide de points (les candidat.e.s, les étudiant.e.s…)
Le but est de lutter contre les discriminations de genre.
Un point sur les débats
De plus en plus de personnalités défendent l’écriture inclusive, et un manuel scolaire enseignant cette grammaire a été publié. Cependant, l‘Académie Française la rejette et le gouvernement a décidé de suivre cet avis.
Ce qui me pose énormément problème, c’est que dans les médias, on donne l’impression que ceux qui défendent l’écriture inclusive sont féministes et modernes, et ceux qui sont contre sont réactionnaires et ne veulent surtout pas toucher à la langue française.
Une petite analogie
Imaginons une société où les gens sont soit blonds soit bruns.
Quand vous parlez d’une personne, par exemple dans un cadre professionnel, ou pour décrire ses actions, ou sa philosophie, ou le fait qu’elle a gagné un concours, vous ne prenez pas la peine de préciser si cette personne est blonde ou brune, parce que cela n’a aucune espèce d’importance.
Si vous décrivez une personne, alors vous pouvez, si vous le souhaitez, préciser sa couleur de cheveux : « Une femme blonde de 40 ans », « un homme brun de 20 ans »… Vous pouvez aussi le préciser si vous pensez que sa couleur de cheveux a influencé ses actions, sa philosophie, ou quelque soit le sujet dont vous parlez. Mais cela reste un choix.
Si vous êtes à la recherche d’un partenaire relationnel ou sexuel, et que vous êtes plus attiré par les personnes brunes ou blondes, alors vous vous renseignerez sur ce sujet. Et pour d’autres qui sont attirés aussi bien par les blonds que par les bruns, cela n’aura aucune importance.
Alors pourquoi devrait-on être obligé de préciser la couleur de cheveux d’une personne à chaque fois qu’on parle d’elle, à chaque mot ? Pourquoi mon client/prestataire/lecteur aurait besoin de connaître ma couleur de cheveux ?
Cela semble aberrant.
Et imaginez une personne qui souhaite changer de couleur de cheveux ? Ou pire : un roux !
Pourquoi ne peut-on pas adopter le même principe pour le genre ?
Ma conclusion
Je comprend le but de l’écriture inclusive et je suis tout à fait d’accord avec celui-ci, cependant je pense que la méthode est complètement mauvaise et contre-productive.
Si nous voulons vraiment modifier de force la langue française pour qu’elle véhicule moins d’idées sexistes, nous devrions au contraire supprimer toutes les formes de genre marqué et n’avoir qu’un seul genre neutre. (que cela soit efficace/possible/utile est un autre débat).
Pour aller plus loin
- www.ecriture-inclusive.fr
- D’autres très bon arguments contre l’écriture inclusive : L’écriture pas très inclusive par un odieux connard
- Article de l’Académie Française qui explique ce que sont les genres dans la langue française.
- Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite « inclusive »
- Déclaration du ministre de l’éducation du 15/11/2017
- Hatier publie le premier manuel scolaire en écriture inclusive
- Un exemple d’article qui me pose problème : Sur Ouest : Qu’est-ce que l’écriture inclusive et pourquoi pose-t-elle problème ?
- On en parle au Royaume Uni : French language watchdogs say ‘non’ to gender-neutral style
Juste un détail
Dire « le masculin l’emporte sur le féminin » est faux. Il peut dire « on ne marque pas le genre au pluriel » ou encore « les mots sont neutres au pluriel » ou encore, comme le propose un odieux connard : « par commodité, on écrit au plus court »
Je pense que dans ce débat on a aussi tendance à surestimer des deux côtés la démarche, en partant directement du principe que le but serait de changer notre façon de penser, bref quelque chose de très ambitieux… Alors que c’est avant tout un message politique de rendre visible le féminin dans des textes, c’est un geste militant. Ensuite on peut discuter de manière plus précise, estimer que telle façon de faire est plus lisible que d’autres, qu’il faut forcément faire certains compromis, et certaines féministes vont préférer au maximum la reformulation des phrases (c’est ce que j’essaie de faire par exemple, je vais avoir tendance à dire « les militantes et militants », même si parfois c’est commode de juste écrire militant.es). Inventer un neutre, ça n’est pas si aisé non plus ! Alors on fait avec les moyens du bord.
Et puis la démarche est notamment rendre visible la présence de femmes dans des domaines où l’imaginaire reste masculin, dans certaines professions par contre, si on dit à des enfants « dessine des boulangers » ou « dessine des professeurs », l’image qui se crée est généralement masculine… faudrait que je retrouve, je crois que des profs ont testé ça. Alors bien sûr en Ce1 on ne lit pas non plus facilement l’écriture inclusive, mais je pense que c’est ce type d’aspect que l’écriture inclusive tente de soulever, sans forcément prétendre être la solution définitive à adopter d’ailleurs. Ca nous oblige à y réfléchir, ce n’est pas son moindre mérite.
J’avais trouvé cet entretien très intéressant sur ces aspects, bien qu’il ne traite pas spécifiquement de l’écriture inclusive (ou en tout cas il en traite au sens large) :
https://www.revue-ballast.fr/maria-candea-langage-politique/
Merci Irène, vous soulevez des points très intéressants.
J’ai également lu votre lien avec attention.
Il est vrai que rendre les femmes visibles là où l’imaginaire est masculin est important. (L’inverse aussi : pensons par exemple aux infirmiers ou aux nounous). En cela, l’écriture inclusive est intéressante, même si je préfèrerais qu’elle soit utilisée uniquement dans des cas où cela semble nécessaire.
Je reste cependant assez dubitative : si on demande à un enfant de CE1 de dessiner des boulangers.ères, est-ce qu’il pensera à la possibilité de dessiner une personne transgenre ? D’une couleur de peau différente de la sienne ? Quid de l’âge ? Du poids ? D’un éventuel handicap ?
Il y a tellement de stéréotypes à combattre, est-ce le rôle de la langue ? A-t-elle simplement ce pouvoir ?
J’ai peur que la solution se trouve surtout dans les images dont nous sommes inondés chaque jour.
Je suis tout à fait d’accord sur le fait que les personnes qui utilisent l’écriture inclusive le font surtout par militantisme. C’est même parfois devenu une forme de marqueur politique, un moyen de montrer ses convictions politiques au grand jour, ou encore de se faire bien voir par une certaine partie de la population. J’avoue que cela me pose problème que l’on déforme volontairement la langue pour ces raisons, et parfois sans vraiment y avoir réfléchi (attention, je ne prétend pas que c’est le cas de tous !)
Vous dites que l’on surestime les effets de l’utilisation de l’écriture inclusive sur le quotidien. Il est peut-être vrai que je m’alarme un peu trop au sujet d’une pratique qui reste marginale.
Cependant, quand on pense à la féminisation des mots et en particulier des noms de professions, cette transformation est loin d’être anodine. Il m’arrive très souvent de discuter avec des gens qui d’un seul coup, au milieu de leur phrase, hésitent, car ils ne savent pas quel mot employer. Est-ce qu’il existe une forme féminine au mot que je veux employer ? Est-ce que je dois l’employer ? Est-ce que ce serait sexiste de ne pas l’employer ? J’entends ainsi des gens parler de « ma médecin », ou être mal à l’aise à l’idée d’utiliser le mot « écrivain » pour désigner une femme.
Cette transformation de la langue a commencé dans les années 1980, et aujourd’hui elle a un impact direct sur la façon dont nous nous exprimons.
Quel sera l’impact de l’écriture inclusive dans 40 ans ?
Inventer un neutre est effectivement loin d’être simple, et ça l’est de moins en moins.
Je m’amuse parfois à parler ou écrire au sujet d’une personne en prenant bien garde à ne pas préciser son genre. C’est une véritable gymnastique ! Et avec la féminisation des fonctions et professions, je dois par exemple remplacer « un écrivain » par « une personne qui écrit ».
Dans tous les cas, je suis d’accord que l’écriture inclusive a le mérite de nous faire réfléchir à des sujets passionnants !
Merci encore pour ce débat !