Introduction
Gigi est une jeune femme « normale », quoiqu’un peu mal dans sa peau. Elle décide de rencontrer un thérapeute qui lui propose de retrouver ses souvenirs d’enfance, car, d’après lui, c’est là que réside la source de son malaise.
Après quelques séances, elle découvre une terrible vérité : son grand-père a abusé d’elle quand elle était petite.
Que devons-nous pensez de ce souvenir « retrouvé » ? Est-ce la marque d’un traumatisme véritable, caché par le subconscient de Gigi pour la protéger ? Est-ce une invention, une histoire implantée dans les souvenirs de Gigi par un thérapeute incompétent ou malhonnête ? Les spécialistes eux-mêmes n’arrivent pas à se mettre d’accord.
La mémoire : quelques bases
Le fonctionnement de la mémoire est un sujet qui n’a pas fini de faire s’interroger les spécialistes. Mais quelques principes de base vont nous aider à comprendre cette controverse.
- Nos souvenirs sont partiels et subjectifs
Une évidence qu’il me semblait important de souligner. Nous ne nous souvenons pas de tous les détails des évènements que nous avons vécus, et plus ces évènements s’éloignent dans le temps, moins les souvenirs sont complets et précis.
De plus nos souvenirs ne sont pas une description objective des évènements, mais une interprétation subjective basées sur ce que vous avons ressenti, ce qui a attiré notre attention…
- Nos souvenirs sont reconstruits
A chaque fois que nous nous remémorons un évènement, il est inscrit plus profondément dans notre mémoire. Mais, comme lorsque l’on recopie un texte on est susceptible d’oublier ou de rajouter des mots, de faire des ratures à des endroits différents, etc, à chaque fois qu’un souvenir est réécrit, il est légèrement modifié. Et si une autre personne nous raconte l’évènement, il est possible que nous intégrions malgré nous des éléments de son histoire à nos souvenirs propres.
Les partisans du refoulement
Certains spécialistes pensent que lorsqu’une personne vit un traumatisme, elle enfouie ses souvenirs au fond d’elle-même. Elle ne se souvient pas vraiment de l’évènement, mais cela peut la faire souffrir, ou alors les souvenirs peuvent ressurgir. Ces personnes se basent essentiellement sur le travail de Freud et la psychanalyse.
Gigi aurait donc été victime d’abus sexuels qu’elle aurait enfouis au fond de sa mémoire pour se protéger.
Les partisans des faux souvenirs
D’autres spécialistes pensent que ces souvenirs sont des histoires inventées qui ont été implantées dans la mémoire par un thérapeute incompétent ou mal intentionné. En effet, ils pensent que des questions trop suggestives ou une pression bien dosée peuvent créer des faux souvenirs, qu’il est ensuite difficile de démêler des vrais.
Ces spécialistes se basent sur plusieurs expériences où des chercheurs ont réussi à implanter des faux souvenirs chez leurs sujets, que ce soit des crimes qu’ils n’ont jamais commis, des agressions qu’ils n’ont jamais vécues ou de faux détails à un évènement auquel ils ont participé.
Gigi n’aurait donc jamais été victime d’abus sexuels, ces souvenirs lui auraient été implantés par le thérapeute.
La controverse
Imaginez maintenant que Gigi décide de porter plainte contre son grand-père. Si les faits ont vraiment eu lieu, c’est une avancée pour la Justice. Si ses souvenirs ont été implantés, c’est une famille et plusieurs vies détruites pour rien.
Dans les années 90, aux USA, les procès de ce genre se sont multipliés, et les spécialistes se sont déchirés sur la question.
Depuis, les tensions sont en grande partie retombées. Les spécialistes se sont mis d’accord sur le fait que chaque cas est différent.
Attention aux dérives
Il n’empêche que plusieurs recherches tendent à montrer qu’il est possible de manipuler les souvenirs.
Plusieurs associations mettent en garde contre l’utilisation de ce genre de procédés par des sectes ou des personnes mal intentionnées. (Vous trouverez leurs sites dans la section « pour aller plus loin »)
Ce que cela nous apprend
Loin d’être une spécialiste de la mémoire, je ne prétendrai pas prendre position dans le débat ni même en comprendre les arguments scientifiques.
De même, il est évident que les abus sexuels existent et doivent être combattus, et jamais je ne remettrai en cause un témoignage d’une victime de telles horreurs.
Cependant, je sais maintenant que la mémoire est une chose délicate avec laquelle il faut éviter de jouer. Je sais que malgré l’assurance avec laquelle certains spécialistes peuvent prétendre le contraire, le débat n’a toujours pas été tranché. Les spécialistes n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord et ne comprennent toujours pas complètement le fonctionnement de la mémoire.
Et si un jour je pense que mes souvenirs renferment peut-être un traumatisme, j’irai voir un spécialiste de la mémoire, sérieux, et que s’il commence à me poser des questions trop suggestives, je m’enfuirai en courant !
Pour aller plus loin
https://www.youtube.com/watch?v=6G5SiVJnJM4
- Psyfmfrance
- Un article de l’Unadfi et plus généralement Le site de l’unadfi (Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes)
- Des chercheurs font croire à des innocents qu’ils ont… commis un crime
- Souvenirs retrouvés et faux souvenirs : la réconciliation ?
- Une vidéo résumant la controverse (en anglais)
- Extrait d’un document destiné aux personnes exerçant la justice (en anglais)
Ça fait assez froid dans le dos de se dire que la mémoire est quelque chose de si vulnérable…
Je me rends compte d’à quel point la mémoire est subjective quand je suis persuadé de quelque chose et qu’on me prouve le contraire avec une preuve à l’appui (notamment une conversation enregistrée, par exemple via e-mail ou SMS).
Je pense aussi que de manière générale, plus la technologie progresse, moins nous sollicitons notre mémoire, et je suis sûr qu’elle s’étiole de plus en plus au fil des années dans la population générale. Je pense que nous faisons de plus en plus confiance à la mémoire « numérique » plutôt que notre propre mémoire.
Ça pourrait avoir le bénéfice de l’objectivité (quoi de mieux qu’une mémoire « tangible » ?), mais tout comme la suggestion peut affecter notre mémoire cérébrale, une mémoire numérique peut aussi être altérée ou modifiée… Ce qui reste tout aussi dangereux, surtout si on lui prête une confiance aveugle !
Une vidéo de e-penser sur les faux souvenirs : https://www.youtube.com/watch?v=6G5SiVJnJM4