Le référendum est globalement présenté comme l’outil ultime de la démocratie : interrogeant directement le Peuple, son résultat ne saurait être remis en question.
Le référendum est une procédure de vote permettant de consulter directement les électeurs sur une question ou un texte, qui ne sera adopté qu’en cas de réponse positive.
Par ailleurs, de nombreux candidats à l’élection présidentielle française (2017) ont promis s’ils étaient élus des référendums sur divers sujets, souhaitant ainsi remettre le pouvoir entre les mains du Peuple.
Cependant, en étudiant de près les référendums récents et leurs conséquences, en particulier celui du « Brexit », j’en suis venue à me poser de nombreuses questions. Sans parler de la forme qui peut poser problème (qui pose la question, comment la question est posée, etc), le référendum me semble avoir de nombreux défauts.
J’appelle « référendum du Brexit » le référendum qui a eu lieu le 23 juin 2016 au Royaume Uni, demandant aux citoyens s’ils souhaitaient ou non quitter l’Union Européenne. Le « Leave » (partir) l’a emporté à 51.9%.
Abandon des alternatives
En simplifiant à l’extrême un problème souvent complexe jusqu’à une seule question à laquelle on doit répondre par oui ou par non, on aboutit à une représentation manichéenne de la situation : oui ou non, blanc ou noir, rester ou partir…
Il n’y a plus de place pour les alternatives, les idées fécondes… Le débat s’appauvrit.
La victoire du plus démagogue
Très souvent, la question posée est complexe. Pour savoir si l’on veut rester ou non dans l’UE, encore faut-il comprendre ce qu’est l’UE, ses rôles, et les conséquences d’un départ. Pour accepter ou non un traité, encore faut-il avoir les connaissances nécessaires pour le comprendre.
Ces connaissances, la plupart des électeurs (et je m’inclue dans le lot) ne les ont pas et n’ont pas le temps, pas les capacités ou simplement pas l’envie de les acquérir.
Ils vont donc se tourner vers ceux dont c’est le métier de décrypter et vulgariser ces connaissances : les médias et les personnalités politiques.
Malheureusement, je ne vous apprendrai rien en disant que ces sources d’information sont parfois (voire souvent) peu objectives. Manipulation, utilisation des émotions et véritables mensonges s’invitent facilement dans la campagne. Puisqu’une fois la décision prise personne ne reviendra dessus, on peut tout se permettre.
Comment les électeurs peuvent-ils alors faire le choix le meilleur plutôt que celui qui leur est présenté avec le plus de démagogie ?
Un résultat peu clair
Puisque le problème est simplifié, derrière chaque réponse se cache une foule d’opinions différentes.
Le Brexit en est un parfait exemple : derrière un vote « leave » peut aussi bien se trouver un souhait d’un nationalisme et du renforcement des frontières, un souhait d’une économie plus libérale et ouverte sur le monde entier, ou encore un souhait d’une Europe moins capitaliste.
De plus, aucune question annexe n’est tranchée : les modalités de la mise en place de la décision, les délais, etc.
Là aussi, le Brexit est un bon exemple : les citoyens du Royaume Uni ont choisi de quitter l’Union Européenne. Ils n’ont pas choisi quand ni comment. Ils n’ont pas choisi entre partir pour de bon ou partir en négociant un traité commercial, ni quel genre de traité le cas échéant. Ils ne se sont pas prononcés sur le maintien ou non de la collaboration au sujet de la sécurité internationale ou encore d’ERASMUS.
La dictature de la majorité
Pour pouvoir tous vivre ensemble convenablement, nous devons toujours être à la recherche du consensus. Si un consensus est impossible, nous devons alors rechercher un compromis acceptable par la plus grande majorité possible de la population. C’est, à mon sens, un principe fondamental de la démocratie : prendre en compte l’intégralité du Peuple.
Mais en soumettant une décision, souvent importante, au référendum, on fait l’exact inverse et on choisi la solution préférée par la majorité sans prendre en compte l’avis des minorités.
Dans le cas d’un résultat à 51%/49% par exemple, on a près de la moitié de la population qui n’est simplement pas écoutée.
Une division de la société
Conséquence directe du point précédent : les personnes dont l’avis n’est pas écouté se sentent rejetées, ignorées. Elle n’ont plus aucun contrôle sur les décisions, et au nom de la démocratie, on leur reproche d’exprimer leur frustration ou de continuer à lutter pour leurs idées.
Puisque les deux choix possibles sont par nature opposés, que la question posée est souvent cruciale et que la campagne génère souvent un déchaînement de passions, la population se retrouve divisée en deux camps : les vainqueurs euphoriques et les perdants frustrés et en colère.
On a ainsi vu au Royaume Uni de nombreuses manifestations anti-Brexit, des discours haineux provenant de chaque camp à l’encontre de l’autre, et on a même parlé de couples qui se sont séparés car ils n’avaient pas le même avis sur la question.
Les médias n’ont rien arrangé en analysant à outrance les résultats et les sondages pour trouver des lignes de démarcation : c’était « les jeunes contre les vieux », « les pauvres contre les riches » etc.
Conclusion
Loin de moi l’envie d’arrêter l’utilisation de référendums. Cependant, je pense que c’est un outils plus dangereux et délicat qu’on ne pourrait le croire et qu’il faut le manier avec précaution. Je suis certaine que l’on peut trouver d’autres outils pour rendre un pays plus démocratique.
Il m’a semblé important de partager mes réflexions quelques peu à contre courant afin de vous inviter à un peu plus de méfiance et vous encourager à y réfléchir.
N’hésitez pas à me donner votre avis dans les commentaires !
Pour aller plus loin
- Qu’est-ce qu’un référendum ?
- Le référendum, outil démocratique ou arme populiste ?
- Le recours au référendum n’est pas toujours une marque de démocratie
- Vidéo le stagirite : Sommes-nous prêts pour la démocratie directe ?
Au sujet du Brexit
- Brexit, mensonges et revirements
- Brexit: la rupture entre jeunes et vieux, l’une des clés du scrutin
- What Brexit should have taught us about voter manipulation (throught social medias)
- Brexit may be final straw for some couples, say divorce lawyers
- Remainers risk being portrayed as enemies of democracy
- No, Remainers are not an oppressed minority
- Shout loud, Remainers – democracy means giving the majority a hard time
- Brexitland: So much for the fractured nation – I haven’t found it
Super article, je retrouve les idées que tu avais abordées avec moi 😉
Je me rends compte que je réfléchis justement avec cette logique oui/non bien trop souvent,
Comment pourrait-on mettre en place un espace « pré-décisionnaire » efficace, qui comprendrait un maximum de possibilités/dénouements dans les thématiques pour lesquelles on imaginait en premier lieu qu’un référendum serait tout indiqué : et ainsi comment porter jusqu’au débat toutes les idées mêmes les moins diffusées, entendues ? Comment trier, mesurer les différents intérêts, quelle serait l’échelle d’importance ; comment éviter les effets de la communication actuelle ?
Merci !
En théorie (j’insiste sur le « en théorie »), c’est ce qu’il est censé se passer à l’Assemblée Nationale : les députés sont censés consulter les citoyens de leur circonscription sur les différents problèmes, puis les représenter lors des débats à l’assemblée.
Mon idée (mais elle n’est peut-être pas la meilleure) serait d’améliorer les relations entre les citoyens et leurs représentants : augmenter la représentativité de la démocratie au lieu de la rendre plus directe. Il y a également beaucoup de partis politiques qui proposent des solutions pour répondre à ces problèmes. Mais j’avoue que ce sont des sujets ultra complexes !
Et sinon, « comment éviter les effets de la communication actuelle » => en développant notre esprit critique ! 😉
Entre le oui et le non il pourrait exister un billet que l’on appellera Kamoulox…
Celui permettrait si le Kamoulox arrive en tête de créer une commission citoyenne d’une 100 de personnes de tt horizon confondu (riche pauvre PDG technicien de surface blond brun mais pas de roux) qui débattraient et le cas échéant modifieraient le texte .. jusqu’à trouver un équilibre … Le tous bien évidement avec l’aide de l’état … Avocat économiste etc
100 personnes qui en représentent 60 millions ça fait autour de 6e-5%, non ? Comment est-ce que ça peut être représentatif ?
D’ailleurs, le nombre de personnes à l’assemblée est le même depuis sa création alors que la population a dû augmenter de manière significative j’imagine. Il faudrait davantage de députés pour prendre en compte la situation actuelle.
Ça permettrait aussi de corriger un peu le grand absentéisme.
Et sur les 100 personnes qui débattent, même si ça n’est pas tout à fait pareil repensons à 12 hommes en colère, où comment un vote très important peut complètement changer
100 personnes qui se mettent d’accord c’est déjà difficile, alors plus…
À mon avis on ne résoudra pas le problème de la représentativité en augmentant le nombre de représentants, mais plutôt en améliorant la relation entre le représentant et les citoyens qu’il représente.
Il me semble vrai que le referendum est vue comme la meilleure arme démocratique et c’est en effet une arme dont personne ne sait bien se servir, et pour cause on ne nous la laisse presque jamais entre les mains.
A une époque où les sondages sollicitent quotidiennement nos avis, j’en viens à me demander pourquoi les états sont incapables de demander l’avis du peuple, tous les mois, voir même plus, sur des sujet divers, par le biais d’une série de question …
Sans que cela n’est valeur de loi, une expression plus libre et volontaire du peuple éveillerait peut être certains élus aux vrais problèmes des vrais personnes …
C’est une idée intéressante. Mais elle soulève pas mal de problèmes : qui choisi quelles questions sont posées, quels thèmes sont abordés et comment ? Et aussi : est-il pertinent de demander leur avis aux citoyens sur un sujet qu’ils ne connaissent pas et sur lequel ils n’ont qu’une opinion préconçue ? Ou alors cela voudrait dire que chaque citoyen devrait se renseigner sur le sujet lui-même. On en revient à mon point « La victoire du plus démagogue ».
Et puis entre un sondage et un vote, il y a un monde : il faut interroger l’intégralité des électeurs, mettre en place des procédures pour que les résultats ne puissent pas être influencés et qu’il n’y ait pas de triche…
Je pense que plus de liens entre peuple et élus est une bonne idée, mais je ne suis pas certaine que le recours systématique au vote soit la bonne solution…
En tous cas, merci pour ta réaction !
Bien évidement la mise en place d’un tel processus demande pas mal de réglage, et on tombe sur les mêmes problèmes que les sondages « classiques » c’est à dire des réponses pré-écrites (peut etre serait ce le boulot des ministères de mettre en place des sondages correctes), cela dit avec la puissance de calcul dont on dispose, ainsi que la complexité des algorithme qu’on possède, il ne me semble pas complétement impossible de mettre en place d’ici quelques années une plateforme politico-citoyenne sécurisé.
L’idée derrière la multitudes des sujets c’est de permettre aux gens qui se sentent concernés de participer, peut importe l’abstention dans le cas d’un « avis » collectif.
De même l’idée de sondage présuppose plusieurs réponses possibles, ce qui « oblige » le citoyen à prendre connaissance des implications derrière chaque réponse (on n’est plus dans du oui/non sans sens.
Quand au vote, on voit bien que de toute façon il n’intègre pas la totalité de la population, et pire encore qu’il ne prend pas réellement en compte les votes blancs. Et la aussi qu’il s’agisse d’un referendum ou d’une élection les lobbys les plus énormes (médias, industriels) et les plus insidieux (amis) ont une influence malsaine. influence je pense minoré dans le cadre de sondages récurrents.
Évidement renforcer le lien entre peuple et élu serait idéal, et pas incompatible avec des sondages. Cela dit il me semble plus facile de financer une plateforme gouvernementale que de payer plus les élus pour qu’ils fassent enfin leur (impossible) boulot correctement.
Ou alors il faudrait désigné les élus de façon aléatoire voir même carrément hors des parties politiques !
Cela me fait penser au Royaume Uni, où un site gouvernemental propose des pétitions : si la pétition a plus de 10 000 signatures, le gouvernement est obligé de répondre. Si la pétition a plus de 100 000 signatures, elle fait l’objet d’un débat au Parlement.
Je crois que n’importe quel citoyen peut lancer une pétition.
https://petition.parliament.uk/
J’ai ajouté dans « pour aller plus loin » une vidéo : Sommes-nous prêts pour la démocratie directe ?
https://youtu.be/c50kJPgxXNg